Et si je vous disais que vous pourriez bientôt vous soigner en avalant des gélules contenant le caca de Guillaume, un universitaire en pleine santé ? ! Ou encore avec les excréments de Chloé, étudiante et grande sportive ? !
Non, je n’ai pas perdu la tête. La transplantation fécale est un sujet très sérieux, et je vais vous expliquer ici comment on en est arrivé là, et pourquoi c’est révolutionnaire.
La puissance du microbiote
La quantité d’études portées sur le microbiote (= la flore intestinale) ne cesse d’augmenter à une vitesse exponentielle. Et pour de bonnes raisons. On pense aujourd’hui que la qualité de notre flore intestinale influe sur la santé du corps dans son ensemble. À tel point que l’ADN des cellules de nos intestins serait plus important que l’ADN hérité de nos parents !
Nos intestins sont directement liés à notre cerveau (via le nerf vague), et cette communication se fait dans les deux sens. Notre microbiote influence ainsi notre humeur et notre bien-être. S’il se déséquilibre (on appelle ça la « dysbiose intestinale »), notre cerveau se dérègle également, et nous pouvons devenir sujets à la déprime, voire à la dépression.
Mais ce n’est pas tout. Nos intestins sont également le quartier général de notre système immunitaire.
Et puis, il y a aussi :
- métabolisme des xenobiotiques (molécules polluantes)
- synthèse de vitamines (biotine, folate, vitamine K, etc.)
- fermentation de résidus alimentaires non digestibles en l’état
- production d’acides gras à chaînes courtes (anti-inflammatoires)
- maintien de la barrière intestinale
- production de peptides antimicrobiens
- etc.
Digestion, cerveau, système immunitaire… on comprend vite que les intestins jouent un rôle central dans notre corps.
Notre microbiote est-il appauvrit ?
La planète va très mal. Des espèces de plantes et d’animaux disparaissent chaque jour. Et dans nos intestins, c’est pas tellement mieux.
Notre microbiote est aujourd’hui beaucoup moins riche que celui de nos ancêtres. Voyons pourquoi.
L’alimentation
Pour que les cellules de nos intestins soient en bonne santé, il faut :
- beaucoup de fibres, qui vont alimenter les bactéries les plus bénéfiques
- de la diversité dans notre alimentation afin d’enrichir notre microbiote
Bon, on voit déjà que la société n’oriente pas forcément notre alimentation dans la bonne direction. Mais il y a bien plus grave :
- le sucre, qui va favoriser certaines bactéries et déséquilibrer notre population intestinale
- les additifs alimentaires, qui vont abîmer la paroi intestinale et laisser passer des éléments toxiques pour le corps
Les antibiotiques
Les antibiotiques tuent indifféremment les bonnes et les mauvaises bactéries. Les populations de l’intestin les plus abondantes survivent, mais les espèces en plus petit nombre disparaissent et votre diversité s’appauvrit à chaque prise !
Il est très fréquent de retrouver un microbiote appauvri chez les personnes ayant pris régulièrement des antibiotiques. Et cela s’accompagne inévitablement de problèmes de santé.
Transmission de la mère à l’enfant
Les premiers mois d’un nourrisson représentent un important enjeu pour son futur microbiote.
Un bébé qui naît possède un intestin vierge de bactéries. C’est donc la mère qui va transmettre, via son lait, les bactéries qui vont former le microbiote de l’enfant.
Il semblerait également que l’accouchement apporte sa pierre à l’édifice. On pense que le mucus vaginal transmet des bactéries au bébé durant sont passage. Certains disent même que les matières fécales de la mère produites durant l’accouchement bénéficient également à l’enfant. Mais il reste encore beaucoup d’inconnus dans ce domaine. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le microbiote des enfants nés par césarienne est plus pauvre que ceux qui sont passés par la voie naturelle.
Enrichir son microbiote
Les fameux probiotiques n’influent finalement que très peu notre flore intestinale. Le plus efficace, c’est d’avoir une alimentation riche en fruits et légumes, pauvre en sucres et en additifs, avec préférablement des aliments de faible indice glycémique.
Tout cela est très efficace pour de nombreuses personnes. Mais d’autres ont un microbiote excessivement déréglé et ne digèrent malheureusement plus correctement un certain nombre d’aliments (dont de nombreux fruits et légumes). L’alimentation devient alors vite un enfer… (gluten, lactose, FODMAP, lectines, etc.)
Clostridium difficile et transplantation fécale
Clostridium difficile est une espèce de bactérie très résistante, souvent contractée en milieu hospitalier. Elle cause de fortes diarrhées, voire colites (inflammation). Elle peut mener à des complications graves, voire la mort.
Le traitement principal consiste à prendre des antibiotiques (vancomycine ou fidaxomicine pour les experts en antibios….). Mais il arrive souvent que la bactérie résiste au traitement. On ne l’appelle pas Clostridium difficile pour rien ! Officiellement, c’est n’est qu’après le 3 ème échec des antibiotiques que l’on peut envisager la transplantation fécale.
C’est assez ridicule de s’obstiner à tout détruire avec des antibiotiques alors que la transplantation fécale affiche un taux de réussite exceptionnel de plus de 90 %1 ! (en cas d’échec de la première on peut en faire une deuxième et ça marche presque systématiquement)
Pour info, la première transplantation de microbiote pour le Clostrodium difficile a eu lieu en 1983. On a dû ensuite attendre 2013 pour enfin avoir une publication d’un essai contrôlé avec tirage au sort.
La transplantation fécale
Nous y voilà ! La « bactériothérapie fécale » ou encore « fécalothérapie », voilà pleins de mots pour une même pratique.
Le principe est simple : on prend les bactéries qui sont dans l’intestin de quelqu’un en bonne santé, et on les met dans l’intestin d’une personne à guérir.
En pratique, vous l’aurez deviné, on utilise les matières fécales.
Le concept du traitement des maladies du côlon par les matières fécales a vu le jour en Chine il y a des millénaires. Ils en ont inventé des choses les chinois ! La littérature médicale chinoise du quatrième siècle le mentionne pour traiter les intoxications alimentaires et les diarrhées sévères. 1200 ans plus tard, Li Shizhen utilisait la « soupe jaune » (ou « sirop d’or ») qui contenait des selles fraîches, sèches ou fermentées pour traiter les maladies abdominales. « La soupe jaune » était faite de matières fécales et d’eau, que la personne buvait.
L’idée peut paraître dégouttante à de nombreuses personnes. Mais ceux qui sont malades se foutent généralement des détails. Quand on est au plus mal, on est prêt à tout pour aller mieux. Et puis surtout, je vous rassure, la pratique a bien évolué et il n’est heureusement plus question de boire la soupe !
Avant la transplantation, et pour chacune des méthodes que nous allons voir, les matières fécales du donneur sont rendues liquides en les mélangeant avec de l’eau ou du sérum physiologique. Puis on filtre ou on mixe pour éliminer les résidus.
Puisque l’on va repeupler les intestins, certains médecins préconisent la prise d’antibiotiques avant la transplantation, histoire de faire place nette. Il est également possible d’avaler une solution destinée à nettoyer le colon.
Tube nasogastrique ou nasoduodénal
En pratique, il faut d’abord recueillir les excréments d’une personne en bonne santé. Ce que l’on vérifie via de nombreux tests. Puis, pour la personne malade, on passe un tuyau par le nez jusqu’à l’estomac (nasogastrique). On introduit ensuite les matières fécales par cette voie à l’aide d’une seringue.
Le problème, c’est que le suc gastric détruit les bactéries car il est très acide. Il faut donc au préalable prendre un anti-acide.
Le tube nasoduodénal, lui, va directement dans le duodénum (première partie de l’intestin grêle), en court-circuitant donc le problème de l’estomac.
Colonoscopie
Vous connaissez peut être la coloscopie. On insère dans le rectum un tuyau qui parcourt les intestins. Cela permet au médecin de visionner l’état du colon à l’aide d’une caméra placée au bout du tube.
La coloscopie peut également être utilisée pour transplanter des matières fécales.
Lavement
Pour le lavement, on insère le bout d’un tuyau dans le rectum puis on fait couler par gravité entre 1 et 2 litres d’eau (ou tout autre liquide) dans le colon. On doit alors attendre une vingtaine de minutes avant de pouvoir évacuer le tout. Cette pratique permet de nettoyer le colon.
La méthode du lavement peut également être utilisée pour insérer des matières fécales saines dans le colon.
Note : ne pratiquer pas cette méthode sans supervision. Même s’ils est possible de le faire sans assistance médicale, il est primordial de s’assurer auparavant de la qualité des selles du donneur.
Gélules
La méthode la plus récente est la plus prometteuse est sous forme de gélules. Car c’est clairement le moins contraignant ! Il suffit de les prendre comme n’importe quelles gélules. Ces dernières contiennent un enrobage qui résiste au suc gastrique (entérosoluble) afin que les bactéries parviennent aux intestins sans avoir été détruites.
Côté conservation, la congélation ne diminue pas l’efficacité du traitement2. Cela simplifie donc énormément l’organisation à mettre en place.
Des probiotiques imbattables
Certains probiotiques de laboratoires sont également vendus sous forme de gélules enrobées. Mais plus de 70 % des bactéries qui composent le microbiote intestinal ne sont pas encore cultivables par les méthodes classiques. Donc ces le petit nombre de bactéries cultivées est bien loin de rivaliser avec le microbiote complet d’une personne en bonne santé.
Les bactéries de nos intestins sont les sujets de très nombreuses études. Et pourtant, on est très loin de tout comprendre et tout maîtriser. Utiliser la transplantation fécale, ça revient à dire :
Nous ne connaissons pas encore le rôle de chaque bactérie du microbiote, mais cet écosystème créé par la nature est ce qu’il existe aujourd’hui de plus puissant pour corriger les troubles intestinaux sévères.
Un chercheur clairvoyant
Les banques de caca
La première banque de matières fécales a vu le jour aux États-Unis en 2012. Depuis, il se crée aujourd’hui partout dans le monde des « banques d’excréments ». En effet, la congélation n’altère pas la qualité des selles et de leurs bactéries. Cela simplifie grandement le travail des médecins et hôpitaux qui n’ont plus besoin de courir après des donneurs. Surtout qu’il fallait respecter un délai de moins de 6 heures entre l’émission des selles et la transplantation.
D’autant que les « donations » sont rémunérées ! Environ 30 euros par selles. Mais il faut d’abord passer un grand nombre de tests et seulement 3 % des postulations sont retenues (questionnaires, analyses de sang et de selles, à la recherche d’éventuels virus, bactéries, champignons ou parasites pathogènes). Les jeûnes adultes et universitaires seraient les principaux donneurs. Et puis il faut se rendre sur place à chaque fois pour que les selles soient bien fraîches, ce qui peut sembler contraignant.
L’effet « donneur »
Il est très possible que certains selles soient plus efficaces que d’autres. Il y aurait en quelque sorte des « grands crus » ! C’est ce que l’on appelle l’effet « donneur ». Pour éviter ce côté aléatoire et homogénéiser les chances de réussites, les laborantins mélangent donc plusieurs excréments afin d’en augmenter la diversité.
Microbiote et vieillesse
Mauvaise nouvelle : notre microbiote s’appauvrit avec l’age3. Il perd alors de sa biodiversité, avec des microbes pathogènes pouvant devenir dominants chez la personne agée4. Assez logiquement, notre système immunitaire, principalement basé dans nos intestins, dégénère par la même occasion. On envisage même que l’analyse de la flore intestinale devienne un contrôle de routine à partir d’un certain age.
Des expériences sur des poissons5 auraient montré qu’il était possible d’allonger leur vie d’en moyenne 41 % en leur transplantant les matières fécales d’individus plus jeunes. On ignore encore ce qu’il en est pour les humains. Espérons seulement que cela ne devienne pas un luxe réservé aux personnes fortunées.
Un avenir prometteur
Les transplantations fécales sont aujourd’hui principalement utilisées pour le clostridium difficile. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que cela s’élargisse !
De très nombreuses pathologies ont été reliés aux bactéries de nos intestins. Ce qui laisse penser, avec encore beaucoup d’incertitudes, que la transplantation du microbiote fécal pourrait jouer un rôle dans les maladies suivantes :
- syndrome métabolique6,
- obésité7
- diabète de type 2
- perturbations de la barrière intestinale
- rectocolite hémorragique
- athérosclérose8
- sclérose en plaque
- intestin irritable ou inflammation des intestins
- autisme9
- dépression10.
- démence
- arthrite
- eczema
- maladie de Crohn
- maladie de Parkinson
- diverticulose
- …
Et puis, comparativement à de nombreux traitements et prises en charge, ce n’est vraiment pas cher !
Transplantation de microbiote et fatigue chronique
Avec la bactériothérapie fécale, je pense que la médecine fait un grand pas en avant, en ouvrant la voie vers une thérapie innovante apportant beaucoup d’espoir. Je pense notamment à toutes ces maladies où les traitement médicaux actuels se montrent relativement limité, et notamment au syndrome de fatigue chronique !
Qui sait ? !
On peut donc espérer que dans un avenir proche des gélules de caca soient disponibles en pharmacies et permettent de redonner une chance à ceux qui ont perdu la précieuse diversité de leur flore intestinale.
Et vous ? Seriez-vous prêt à prendre de telles gélules ? Laissez-moi un petit mot dans les commentaires.
- Fecal microbiota transplantation in recurrent Clostridium difficile infection : A retrospective single‐center chart review
- Frozen vs Fresh Fecal Microbiota Transplantation and Clinical Resolution of Diarrhea in Patients With Recurrent Clostridium difficile Infection
- Microbial shifts in the aging mouse gut
- Gut microbiota and aging
- ‘Young poo’ makes aged fish live longer
- Akkermansia muciniphila, une bactérie pour lutter contre le syndrome métabolique
- Cross-talk between Akkermansia muciniphila and intestinal epithelium controls diet-induced obesity
- Akkermansia Muciniphila Protects Against Atherosclerosis by Preventing Metabolic Endotoxemia-Induced Inflammation in Apoe−/− Mice
- Gut microbiota in autism and mood disorders.
- The Role of Microbiota in Depression – a brief review.
Bonjour Stéphane,
merci pour ton article que j’ai beaucoup apprécié, comme tous les autres !!
Aurais-tu une idée du nombre d’année qu’il va falloir attendre pour que ce traitement se « démocratise » et soit utilisé pour d’autres maladies, comme la fatigue chronique dont je souffre. Bien évidemment je suis disposé à essayer ces gélules (j’ai déjà avalé des quantités de probiotiques…., sans résultat notoire)
Bonne continuation
Cordialement
J-Luc
J’ai peur que ce soit encore calme pendant plusieurs années et qu’il soit très difficile de se procurer ces gélules miracles. Mais la demande est, je pense, très forte et une fois que ce sera parti ça va être un très gros business !
Donc rien dans les années à venir, j’en ai peur.
Achetez des gélules gastro résistantes vides et chercher par vous même un donneur en pleine santé 😉